Comme de l'an 40...

1910, c'est l'année de la grande inondation de la Seine à Paris, qui a failli faire boire la tasse au Zouave du Pont de l'Alma. C'est aussi l'année qui a vu naître, le 3 février, à 10 heures, le petit Jean Pierre Auguste, fils de Jean Pierre BERTRAND, employé de commerce, et de Marie Eugénie CLAUDON, brodeuse.

A cette époque, les petits enfants, filles ou garçons, portent la robe. Le petit Jean-Pierre ne fait pas exception à la règle, et ses parents ont tenu à immortaliser cette tenue chez un photographe de Lunéville. On retiendra la forme du banc sur lequel se tient il se tient.
Il habite, rue Héré, avec sa mère et ses grands-parents, et en 1913, ses parents se marient à Bordeaux. C'est là, au 29 de la rue Armand Caduc, près de la gare St-Jean, que la famille s'installe, avec Marie-Anne, la grand-mère paternelle, veuve depuis trois ans.
Les confrontations entre Marie, qui fait la cuisine comme sa mère alsacienne de Schleithal, et sa belle-mère, qui prépare ses repas à la mode bordelaise, vont cesser par la faute de Gavrilo Prinzip, qui, le 28 juin 1914, en assassinant l'Archiduc François Ferdinand à Sarajevo, provoque la mobilisation générale de l'Armée Française, et le départ de Jean-Pierre pour le front.
Son épouse préfère retourner à Lunéville, en attendant la fin de la guerre que tout le monde imagine courte, et dont on ne sait pas encore qu'elle sera la Grande Guerre.

 


La Guerre de 14

Donc, papa est parti pour la guerre, et le petit Jean-Pierre se retrouve avec sa maman et ses grands-parents dans la rue Héré à Lunéville.
La mode étant guerrière, même pour les enfants, il sera photographié dans le même studio que deux ans plus tôt, debout sur le même banc.
Lors des bombardements, il se réfugie chez son grand-père, qui le rassure et lui raconte sa guerre à lui, celle de 1870.

 

On le voit ici en costume de marin, avec son parrain, Henri CLAUDON.

Jean-Pierre a huit ans, nous sommes en 1918, et la famille est réunie pour une photo dont personne ne sait qu'elle sera la dernière. En effet, son père mourra le 16 septembre 1918 de la grippe espagnole, à l'hôpital Gama de Toul.
Le petit garçon sera Pupille de la Nation, suivant en cela le sort de millions d'autres enfants français.

 

L'école

à l'école communale de Lunéville  
au collège Saint-Antoine de Phalsbourg

Au garage

A sa sortie de l'école, son certificat d'études en poche, Jean-Pierre se tourne vers l'automobile. Il veut devenir mécanicien, et entre en apprentissage dans un garage de Sarrebourg. Son patron lui confie de travaux de bureau.
Le jeune homme pose fièrement (3e à partir de la gauche) avec ses camarades autour d'une voiture vers 1925 (une Citroën type B14 fabriquée de 1926 à 1928 ( 10 000 exemplaires en 1926, 54 800 ex. en 1927 et 43 359 en 1928 ). Vitesse maxi : 80km/h, et que j'ai pu identifier grâce à René OBERLI, que je remercie vivement).

En 1930, il indique la profession de mécanicien sur autos.

Nous pouvons déduire que cette voiture est une Citroën type B14 fabriquée de 1926 à 1928 ( 10 000 exemplaires en 1926, 54 800 ex. en 1927 et 43 359 en 1928 ). Vitesse maxi : 80km/h.

En fonction de la vue latérale il me semble ne voir que deux fenêtres ( la 2e masquée par une toile)ce qui semble indiquer que cela doit être un modèle "coach" ou "utilitaire". Le modèle berline avait 3 fenêtres. Si c'est un modèle coach, il n'a été fabriqué qu'à partir de 1927.

Ce n'est pas une citröën B12 ( fabriquée de 1925 à 1927 ), car le radiateur n'a pas la même forme : il est en V au lieu d'être plat.

En conclusion, la photo ne doit pas être datée de 1925 mais de 1926 ou 1927.

En savoir plus

L'Armée

Le 24 octobre 1930, il s'engage pour un an à la Sous-Intendance Militaire de Sarrebourg, où il habite au 34, Avenue de France. Il est affecté au 25e Régiment de Tirailleurs Algériens.
Nommé Caporal le 27 mars 1931, il quitte l'armée, et dépendra pour un temps du Centre Mobilisateur d'Infanterie de Toul.

 

 

 

Instruction militaire, Sarrebourg

Le 23 janvier 1936, il réside au 1, rue Burckhardt, toujours à Sarrebourg, et le 25 mars 1938, on le retrouve à Schiltigheim (Bas-Rhin), au 15, rue de Colmar.

 

 

Avec le 25e Régiment de Tirailleurs Algériens à Sarrebourg, peloton EC


En grande tenue de sous-officier de Tirailleurs Algériens

Dans son livret militaire, on peut lire, à travers ses différentes affectations, les troubles qui ont précédé la Seconde Guerre Mondiale. Ainsi, il accomplit une période d'instruction militaire au 172e Régiment d'Infanterie de Forteresse du 21 août au 3 septembre 1936.

Au moment de l'affaire des Sudètes, il est "rappelé à l'activité par voix (sic) d'affiches le 25 septembre 1938, rejoint le CMI 201 Obernai [...et est] renvoyé dans ses foyers le 6 octobre 1938."

Moins d'un an plus tard, Hitler envahit la Pologne. La mobilisation commence pour lui le 23 août 1939, et le 25, il est affecté au 70e Régiment de Forteresse.

 

 

 

 


Sur un bras du Rhin pendant la "Drôle de Guerre", près d'Offendorf
En septembre 1939, il rejoint les casemates d'Offendorf, qui, le long du Rhin, au nord de Strasbourg, constituaient la ligne Maginot.
C'est dans ce village en effet que le 70e Régiment d'Infanterie de Forteresse, 6e compagnie, surveillait les éventuelles velléités de la Wehrmacht de traverser le fleuve pour envahir la France, depuis la déclaration de la guerre. Les soldats devaient en même temps veiller sur le village abandonné par ses habitants, évacués, comme beaucoup d'autres, dans le Limousin (La Croisille, Châteauneuf-la-Forêt et Saint-Germain-les-Belles).
Les villageois avaient dû laisser leur bétail, leurs maisons, pour se rendre dans des conditions que l'on imagine mal aujourd'hui, dans des villages où ils n'étaient pas toujours les bienvenus : ils touchaient une indemnité d'évacuation, et surtout les "yaya" ne parlaient pas français.
C'est donc l'Armée française qui était chargée de surveiller les biens des réfugiés.
La "Drôle de Guerre" durera jusqu'en mai 1940, où les chars allemands, contournant la ligne Maginot, culbuteront les troupes françaises, mal organisées et souvent démotivées.

A Offendorf (Bas-Rhin)
En haut : 11 octobre 1939 -
A droite : Novembre 1939
En bas : Sergent-


(Collection personnelle)

Prisonnier de guerre

Il participe en juin 1940 aux opérations du 43e Corps d'Armée-Division Lescane- et bénéficie des clauses de la Convention intervenue le 26 juin 1940 entre le 43e Corps d'Armée et le 24e Corps d'Armée allemand. (Extrait du livret militaire)

Le sergent Jean Pierre BERTRAND est fait prisonnier au Donon le 22 juin 1940, où sa compagnie était arrivée après avoir évacué
La 6e compagnie se retrouvera donc au Donon, entre Bas-Rhin et Meurthe-et-Moselle, où elle devra se rendre aux troupes hitlériennes.
Les soldats feront à pied la route jusqu'à Strasbourg, au Quartier Lizé de Neudorf, et, le 29 juin, y seront "prisonniers d'honneur". Le 21 juillet, embarqués dans les wagons à bestiaux du train n°27, ils quitteront Strasbourg pour une captivité qui les mènera, début août 1940, à Hohenstein (aujourd'hui Olsztynek en Pologne), en Prusse Orientale, au Stalag I B. (Voir des photos du site) .
Il y travaille à Pilgramsdorf, aujourd'hui Pielgrzymowo, à une trentaine de km au sud du camp, Arbeitskommando n° 20059.
Le long et dur hiver sera bien pénible aux malheureux prisonniers, sous-alimentés et mal vêtus.

En février 1941, les nazis décident de laisser rentrer chez eux les Alsaciens et les Lorrains. Comme Jean Pierre habitait Schiltigheim, il fait partie du lot, et quitte donc Hohenstein pour revenir en France, le 12 février 1941. Dirigé vers le Heilag V C d'Offenburg (Heimkehrerlager), il lui reste encore une petite formalité, avant de recouvrer la liberté. Il faut reconnaître sa germanité, en signant un document qui confirme son appartenance au Grand Reich. Mais Jean-Pierre refuse de signer, et il est envoyé au Stalag V B, à Villingen, en Forêt-Noire.
Il portera le n° 52677.

Qui pourrait me fournir une copie de ce document qu'il n'a pas signé ?


Il y rédigera un cahier de chansons où s'exprime la nostalgie de son foyer.


Le 21 février de la même année, il est affecté dans une usine textile à Onstmettingen, en Forêt-Noire, où il devra travailler jusqu'à la fin de sa captivité, le 26 mars 1945.
Le régime y est un peu plus supportable, et les "Kriegsgefangene" (prisonniers de guerre) peuvent s'adonner au sport.
On imagine tout de même les difficultés endurées par ces hommes séparés de leur famille pendant ces longues années.


Onstmettingen entre 1941 et 1944 - Carte postale d'époque (Collection personnelle)

Onstmettingen entre 1941 et 1944 - Rathaus - Carte postale d'époque (Collection personnelle) Observez le drapeau !

Onstmettingen entre 1941 et 1944 - Carte postale d'époque (Collection personnelle):
à gauche , Schillerschule,
à droite, Raichberg.

 

A gauche : L'embarquement à la gare de Trèves

A droite : L'intérieur d'une baraque

Extrait du "Journal dessiné d'un prisonnier de guerre" Antoine de Roux, Editeur Robert LAFFONT, 1941
Un tract était distribué, vers 1942, aux prisonniers libérés, par le Parti Populaire Français.
Lire ce tract. 

En avril 1945, les prisonniers français sont libérés, grâce aux troupes de la Première armée, qui prend le château de Siegmaringen, où étaient regroupés les débris du gouvernement de Vichy, et qui avancent en Forêt-Noire.

Bien vite, certains des prisonniers se lancent à la recherche des gardiens, et le 10 mai, l'un des groupes est victime d'un grave accident de voiture, qui fait plusieurs tués et dans lequel Jean-Pierre est blessé.

 

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