Trois fois exilée…

Certains prétendent que nos ancêtres voyageaient peu, et restaient le plus souvent confinés dans les limites étroites du village qui les avait vu naître. Pourtant, de nombreux exemples montrent des émigrations alsaciennes vers la Guyane (Cayenne), dès le XVIIIe siècle, vers le Banat (région historique du sud-est de l'Europe, recouvrant l'actuelle Roumanie occidentale, la partie nord-est de la Serbie et la Hongrie méridionale), et vers l’Amérique, à partir du milieu du XIXe siècle. Voici l’histoire de Madeleine MULLER, dont les déplacements sont dignes d’intérêt.

Madeleine MULLER naît le samedi 30 mai 1885 à Neewiller-près-Lauterbourg, dans l’extrême nord du Bas-Rhin, fille de Denis MULLER, âgé de 32 ans et d'Elisabeth Reine RICHTER, âgée de 29 ans.

Aux Etats-Unis

Le 26 octobre 1910, à New-York, elle débarque du navire Friedrich der Große, qui avait appareillé de Bremerhaven, le port de Brême, en Allemagne, quelques semaines plus tôt.

Sur le registre de ce navire, avec l'attestation du Commandant de bord (en anglais), on la trouve avec un autre passager de Neewiller, Albert BRAUN, né le 2 novembre 1883, fils d'Aloyse BRAUN et de Marie Anne MASTIO. A eux deux, ils possèdent 135 $. L'adresse qu'ils indiquent est celle d'Alex Pujol, of New Orleans, Orleans Parish, La. Democrat. Delegate to Democratic National Convention from Louisiana, 1920.
Le couple s’installe à New-Orleans, en Louisiane.
Au début de l'année suivante, ils sont à Troy, sur les rives de l'Hudson River, dans l'état de New-York, à 250 km au nord de Central Park, Troy où Albert a trouvé du travail en tant qu'ouvrier d'usine. Leur logement est une cave, et parfois, le bois manque pour chauffer la pièce.
C’est là que naît Albert le 10 avril 1911.

Malheureusement, atteint d’une pneumonie, Albert père meurt entre le 1er février 1912. Son épouse est enceinte de son deuxième enfant.

Le retour

Alors, avec l’aide de quelques amis, Madeleine reprend le bateau et repart en Alsace pour rejoindre sa famille à Neewiller. Un petit Michel y naîtra le 8 août 1912, et décèdera quelques mois plus tard, le 8 décembre de la même année.

Le 21 juin 1914 à Munchhausen, elle épouse Louis NEICHEL, tailleur d'habits, âgé de 34 ans, fils de Florian NEICHEL et de Marie Catherine SCHMITT.
Ce couple aura quatre enfants :
-Eugénie née en 1915.
-Marthe née en 1918.
-Auguste né en 1920.
-Jeanne née en 1926.

La Seconde Guerre Mondiale

L’histoire pourrait se terminer là, sur un happy end. Mais c’est sans compter sur l’Histoire, la vraie, avec un grand H et toutes ses horreurs.

Le 2 septembre 1939, le village de Munchhausen, comme tous ceux qui bordent le Rhin, doit être évacué devant les menaces de l’armée hitlérienne. La population est regroupée, embarquée dans des wagons à bestiaux, et dirigée vers la gare de Limoges.

Là, changement de train, et arrivée, de nuit, à la gare de Blond-Berneuil. Les familles y sont triées, et réparties dans les logements disponibles, autour du bourg de Blond.

La ferme Méry, septembre 2004
(Collection personnelle)

La gare de Blond-Berneuil, septembre 2004
(Collection personnelle)
La famille NEICHEL, le père, la mère et les trois enfants (Marthe, Auguste et Jeanne), sont dirigés vers le hameau de Méry, à deux kilomètres du centre du bourg. Ils y sont logés dans une maison vide, en compagnie d’une autre famille de Munchhausen. La propriétaire, veuve d’un cordonnier de Blond, vit au bourg.

La buvette de la gare, septembre 2004
(Collection personnelle)

Jeanne NEICHEL, de retour sur les lieux en septembre 2004, en compagnie de Mme BERNARD
(Collection personnelle)


En 1939, à Blond comme ailleurs, on lave son linge au ruisseau.
Septembre 2004
(Collection personnelle)


L'église fortifiée de Blond, Septembre 2004
(Collection personnelle)


Les monts de Blond, paysages de châtaines et de fougères, de rivières et de pâtures.
Septembre 2004
(Collection personnelle)

A la fin du mois de novembre 1939, les réfugiés sont autorisés à retourner dans leur village pour prendre des affaires pour affronter l’hiver qui arrive. Le père, son fils et Marthe rentrent donc à Haguenau, où habite Eugénie, qui a déjà deux enfants et est enceinte du troisième. Le soir du 1er décembre, Marthe et Eugénie, qui pousse le landau de son bébé, passent dans une rue sans éclairage, pour cause de couvre-feu. Une voiture, qui circulait avec des phares occultés, heurte la malheureuse Marthe, qui perd la vie dans l’accident.
Le reste de la famille, toujours à Blond, est prévenu. Les voisins viennent présenter leurs condoléances, et Madeleine et sa fille rejoignent Haguenau pour les obsèques.
Tout le monde décide de rester dans cette ville, qui n’est pas (encore) évacuée.

La deuxième évacuation

Les Etudes Haguenauviennes ont publié en 1987 un article exaustif sur le sujet. Si pour les habitants de cette ville, cette évacuation fut la première, pour la famille NEICHEL, ce fut la seconde.
Tout le monde se dirigea donc vers Mirecourt, dans les Vosges, et les NEICHEL se rendirent à Monthureux-le-Sec, avec environ 80 autres réfugiés.


1998 : Jeanne NEICHEL à l'entrée du village, à deux pas des ruines de la maison où logeait sa famille. (Collection personnelle)

Ce nouvel exode durera jusqu'en juillet 1940, où les malheureux Alsaciens rejoignirent pour la plupart leurs villes et villages, où les attendaient les troupes allemandes et une administration nazie pour presque cinq ans d'horreur.


Le 8 octobre 1953 Louis NEICHEL meurt à l'âge de 73 ans.

Madeleine MULLER le suivra le dimanche 1er juin 1969, à l'âge de 84 ans, à Haguenau (67500).