L'architecture à Lauterbourg pendant
la première moitié du XVIIIe siècle


Au XVIIIe siècle une véritable « frénésie de bâtir » s'empara de la France. Cet essor de l'architecture se manifesta également en Alsace, où de grands architectes introduisirent l'art classique - fait de mesure et d'équilibre - de la France de Louis XIV et Louis XV. Notre province resta par contre pratiquement à l'écart de l'épanouissement du baroque germanique et du rococo, dont la fantaisie et la vitalité défient les règles de la raison.
En France, l'influence de VAUBAN fut considérable, tant par les fortifications qu'il fit ériger que par le style des villes fortes qu'il créa. Pour la défense du Rhin, il fit construire une chaîne de places fortes, dont Neuf-Brisach offre encore une image parfaite.

LAUTERBOURG avait beaucoup souffert de la Guerre de Trente Ans et de la Guerre de Succession d'Espagne. En 1706 ses défenses furent démantelées par les troupes de Villars, mais la même année, l'ingénieur militaire de Charmont entreprit la construction des lignes de la Lauter et fortifia la ville selon les principes de Vauban. Ces travaux furent réalisés grâce à la corvée, et au travail de plusieurs milliers de sapeurs. On sait que des Français originaires de Picardie s'étaient établis à Büchelberg (Palatinat) dès la fin du XVIIe siècle ; ils y exploitaient une carrière et une tuilerie ; la grande forêt du « Bienwald » leur fournissait les bois de construction. Les Traités d'Utrecht et de Rastatt (1713-1715) assurèrent la paix en préservant l'intégrité du territoire français et favorisèrent l'essor de la construction.

De nombreux bâtiments de l'époque existent encore à Lauterbourg, malgré les destructions que subit la ville pendant la 2e Guerre mondiale. Ce sont des bâtiments utilitaires, sobres et sans prétention, conçus par des ingénieurs militaires, en tenant compte du mauvais état des finances. Cependant un ensemble comme celui que forment l'hôtel de ville, les écoles et le collège ne manque pas de cachet.

Nous disposons d'intéressants documents graphiques de l'époque. Ainsi il existe une estampe attribuée à Schoepflin, professeur à l'Université de Strasbourg et « historiographe du Roi » (1694-1771). Cette gravure représente « Lauterbourg, aspectus ab Oriente », c'est-à-dire la ville vue de l'est. En réalité, cette vue est prise du Nord-nord-est, du haut de la butte où se dressait le gibet, à l'endroit où s'élève aujourd'hui Neulauterbourg (Palatinat).

La gravure signale plusieurs bâtiments importants :
1. Templum Paroch : l'église baroque.
2. Porta Weissenburg : la porte de Wissembourg qui s'élevait près de l'actuelle Salle des fêtes.
3. Vetus castrum : l'ancien château en ruines.
4. Porta oppidum superioris : la porte haute appelée aussi « Mitteltor ».
5. Hospitium peditum : la caserne.

La ville est entourée de remparts de terre. Au premier plan on reconnaît le carrefour formé par la chaussée de Landau et les chemins de Rheinzabern (vers Berg) et de Scheibenhard. Plus loin on distingue le pont de bois sur la Lauter avec son corps-de-garde, d'où la route se dirige vers la porte de Landau surmontée d'une échauguette. Au pied des remparts, sur les bords de la Lauter, on aperçoit l'hôpital militaire surmonté d'un clocheton et les bâtiments de la cuisine et de la buanderie de garnison. Il y avait là le gué où on lavait les chevaux. En avant de ce groupe de bâtiments, et semblant en faire partie sous l'effet de la perspective, s'élevait une tuilerie. A l'ouest de la ville, au-delà de la Porte de Wissembourg, s'étend le « faubourg ». On remarquera également la chapelle de St-Michel, entre l'église et le « MitteItor ».

Aux archives de la Mairie se trouve un plan de la place et de ses environs « jusqu'à 300 toises » (600 m) daté de 1782. Par comparaison, on peut s'assurer de l'exactitude de l'estampe de Schoepflin. A l'ouest et à l'est de la ville on voit la « boutée des lignes de Wissembourg à Lauterbourg et de Lauterbourg au Rhin ». Les parapets et les bastions de ces lignes suivaient le cours de la Lauter. Un système d'écluses et de digues permettait d'inonder - en cas d'attaque - tout le bassin de la Lauter. Chaque écluse était couverte par une redoute. A l'est de la ville, un canal de dérive suivait approximativement l'actuelle ligne de chemin de fer et bifurquait vers le Rhin près de la redoute de la chapelle. Le camp retranché lui-même était entouré de parapets et d'ouvrages à cornes. Une partie de l'enceinte du Moyen-âge était intacte et divisait encore Lauterbourg en ville haute et ville basse.

Au sud, le « Marais du Précipice » rendait l'accès au camp très difficile. Les portes de Wissembourg et de Landau et le Passage do l'Hôpital étaient les seules entrées de la place. Elles étaient défendues par des « demi-lunes » ou ouvrages avancés. Près du cimetière il y avait une « lunette » ou poste d'observation avancé. La garnison disposait de casernes et de magasins lui permettant le cas échéant de soutenir un siège. Grâce à la légende du plan, il est facile d'identifier ces bâtiments.

Près de la Porte de Landau se trouvait le corps-des-casernes avec le magasin de bois de chauffage des troupes, la glacière et les écuries. En haut de la rue des écuries il y avait un magasin à foin. Le vieux château en ruines servait d'arsenal. Près de la Porte de Wissembourg se trouvaient les fours de munition. Une poudrière existait près de la « haut'batterie » qui défendait la place vers le nord, le côté le plus exposé. De cette poudrière on arrivait à la demi-lune de l'Hôpital par une poterne couverte, dite « Ausfall ». Nous avons déjà énuméré les bâtiments qui s'élevaient sur les bords de la Lauter. Sur le plan il n'y a pas encore trace de la « Maison Adam ». Un second magasin à foin et avoine avec un logement du garde s'élevait au faubourg.

La plupart de ces bâtiments - dont la liste n'est pas exhaustive - existent encore, mais leur destination primitive n'apparaît pas toujours immédiatement. C'est le cas du temple protestant : on ne se douterait pas à première vue, qu'il s'agit d'une poudrière de 1708 transformée en 1888. Mais la voûte intérieure et les murs de 2,70 m renforcés par des contre-forts massifs ne laissent aucun doute à ce sujet.

Les noms des rues de Lauterbourg rappellent le passé : place Vauban, rue de la caserne, rue des écuries et rue de la forge ; rue des remparts et rue du glacis ; rue de la haute-batterie, place du château, rue des fours, rue du faubourg... Une promenade à travers ces rues ne manque pas d'intérêt pour l'amateur d'histoire.

Un plan de 1815 conservé à la Mairie montre un projet d'extension de la place au 19" siècle. Ce plan en couleurs « levé à la planchette par M. le Colonel du Génie Prévot de Nernois et M. le Capitaine Perrin » était accompagné d'un mémoire qui indiquait « la façon de fermer cette place et les améliorations et accroissements successifs dont cette première enceinte serait susceptible et qui pourraient en faire une des plus fortes places de la France » ! Le projet prévoyait quatre tranches de travaux : des travaux de première urgence en terre ; des travaux de seconde urgence comprenant de hautes murailles et les « bâtiments nécessaires pour loger la garnison et mettre ses vivres et munitions à l'abri de la bombe »; des travaux de troisième urgence concernant l'établissement des camps retranchés s'étendant jusqu'au Rhin, et enfin une dernière tranche de travaux « qui compléteraient le Système des fortifications (...) mais qui peuvent se remettre à l'Epoque où nos Finances permettront de traiter nos places de guerre avec ce luxe qui convient à un Etat comme la France ». Le projet prévoyait le percement d'un canal latéral de la Lauter pour acheminer les matériaux de construction, en particulier le grès des Vosges. La construction d'une redoute était prévue au bord du Rhin, à l'emplacement où l'on creusa plus tard le port. Un ouvrage avancé devait également être construit sur une île du Rhin en amont de l'actuel Restaurant de la « Belle Vue ». Cette île boisée devait être reliée à la rive française par une digue au lieu-dit « Taifelsbrueck ». Les travaux de rectification du Rhin l'ont fait disparaître.

Le projet du Colonel Prévot de Nernois aurait fait de Lauterbourg une place forte de l'importance de Landau, mais il ne fut jamais réalisé. Après 1871 l'Alsace devint « Reichsland » et la garnison de Lauterbourg fut supprimée.

Les bâtiments civils de l'époque sont conformes au style qui prévalut alors dans les casernes, les hôpitaux militaires et les administrations. Les murs en moëllons ou briques crépis offrent des surfaces claires serties de pierres de taille se patinant en brun-rouge. Les toitures de tuiles présentent des pans très inclinés. Les façades sont divisées horizontalement par des corniches et des bandeaux séparant les étages. Les portes et fenêtres sont ornées de chambranles moulurés.

L'Hôtel de ville construit en 1731 possède un beau portail avec une grille en fer forgé. Ce remarquable travail de ferronnerie représente deux vases de fleurs autour desquels s'épanouit une végétation fastueuse où l'on reconnaît des feuilles d'acanthe gracieusement retroussées. Les volutes et les formes végétales qui ornent le chambranle, de même que les chapiteaux corinthiens en bas-relief témoignent du souci d'animer la façade un peu sévère. Le même souci se retrouve à l'Ecole dont un angle est orné de deux colonnes torses en chêne.

 

Le Collège d'Enseignement Général est installé dans l'ancien palais épiscopal comme en témoignent les lettres de fer qu'on peut lire sur le bandeau et qui signifient :« Henricus Hattardus, Episcopus Spirensis, Praepositus Wissenburgensis Et Offenbachensis, Sancti Romani, Imperi Princeps, Anno 1716 », c'est-àdire : Henri Hattardus, évêque de Spire, pair de Wissembourg et Offenbach du Saint Empire romain, prince en 1716. Un bel escalier en colimaçon, classé monument historique, mène à l'étage.

De part et d'autre de la porte d'entrée, on remarque les traces de sculptures démolies pendant la Révolution de 1789. Il s'agissait probablement de portraits d'évêques ou de saints. Le Curé Meyer, auteur d'une histoire de Lauterbourg, relevait au-dessus de la porte l'inscription suivante, aujourd'hui effacée :« Pax intrantibus, salus exeuntibus ».


Au XVIIIe siècle l'église apparut trop exiguë pour contenir la communauté. Comme dans d'autres garnisons, on construisit une nef rectangulaire spacieuse, éclairée par de grandes fenêtres, mais on conserva le chevet gothique du XVIe siècle. Sur la façade baroque, on lit :« hIC sVM faVente Deo, paCe et Vrbe », c'est-àdire : Je suis ici par la grâce de Dieu, à la faveur de la paix et l'aide de la ville. Dans son ouvrage, le Curé Meyer indique le procédé pour en déduire la date de construction par addition des majuscules, ou chiffres romains :
M + D + CC + VVV + 1 = 1716.

On imagine l'intense activité qui régnait sur les chantiers de Lauterbourg au XVIIIe siècle. Les maîtres maçons, tailleurs de pierre, charpentiers, menuisiers et serruriers ne manquaient pas de travail. Ils ont exécuté parfois des pièces très soignées : la ferronnerie de l'Hôtel de ville ; le Soleil, symbole de Louis XIV, ornant le fronton de grès au-dessus de la Porte de Landau ; la belle porte sculptée de l'immeuble n°18 de la rue principale. Le patrimoine présente de l'intérêt pour les touristes et aussi pour tous ceux qui aiment leur petite patrie à travers son histoire. Lauterbourg se transforme sans cesse ; Il serait intéressant de rassembler les documents historiques et de constituer un musée. Nous exprimons le souhait qu'un tel projet se réalise un jour.

C. K.

Extrait du Bulletin officiel municipal de Lauterbourg, 1969

Ouvrages consultés :
Architecture :« L'Art en Alsace » de Hans Haug -- chez Artaud - 1962
Histoire :« Geschichte der Stadt Lauterburg »; de Auguste Meyer - 1898
Les photographies sont de M. Fetsch.